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« Oiapoque Énergie 2025 » : quand le pétrole suscite débat, espoir et réticences

Les 2 et 3 décembre 2025 s’est tenue la première conférence municipale sur le pétrole et le gaz à Oiapoque, ville frontalière avec la Guyane, baptisée « Oiapoque Énergie 2025 ». Organisée par le conseil municipal et le gouvernement de l’État d'Amapa, l’événement a rassemblé, au Forum d’Oiapoque, élus, représentants de Pétrobras, entrepreneurs, institutions de formation, ainsi que membres de la société civile, y compris des communautés indigènes.

  • Par: adminradio
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L’objectif d’Oiapoque Energy 2025 : anticiper le développement, encore hypothétique, des activités pétrolières de Petrobras au large des côtes de l’Amapá, redessiner le futur économique de la région et envisager des retombées sociales, notamment en matière d’emploi, de formation et de dynamisme local. « Une nouvelle ère collective pour l’Amapá » selon le gouverneur de l’État de l’Amapa. Clécio Luís, a insisté sur l’importance d’un engagement collectif :

 « Nous devons préparer l’Amapá à cette nouvelle ère. Ce ne sera pas l’œuvre d’une seule personne, mais de toute la société… Nous voulons montrer comment la population d’Oiapoque peut s’intégrer au projet, que ce soit par la création d’emplois ou la fourniture de produits et de services »

© Radio Télé Péyi - décembre 2025

Le gouverneur a évoqué des perspectives de « nouveau cycle d’opportunités économiques et sociales » pour Oiapoque, un pôle stratégique dans l’extrême nord de l’État, notamment grâce à l’installation d’investisseurs potentiels.

De son côté, le président du conseil municipal d'Oiapoque, Guido Mecânico, a souligné l’envergure du processus engagé auquel se prépare la municipalité :

« Cet événement rassemble des autorités et des représentants nationaux et internationaux. Nous commençons à appréhender l’ampleur du processus en cours dans la municipalité. »

Pour le monde économique local, représentés par Lilma Campos, cheffe d’entreprise et présidente de l’association des commerçants d’Oiapoque, c’est un changement de regard sur la ville. L’entrepreneure exprime ses attentes avec un mélange d’espoir et de prudence :

« On espère que ça va développer la ville comme il faut. Aujourd’hui, nous sommes sous les feux de la rampe. Auparavant, nous étions stigmatisés, ce qui ne reflétait pas notre identité. Désormais, nous sommes reconnus et valorisés ».

© Radio Télé Péyi - Décembre 2025

Selon Lilma Campos, toute la population ne perçoit pas encore pleinement l’intérêts d’un projet pétrolier car il faudra « attendre au minimum cinq ans » avant de voir des retombées concrètes.

Des voix indigènes demandeuses d’inclusion voire de rejet

Le projet ne fait pas l’unanimité et doit faire face à certaine réserve. Parmi les populations autochtones, un sentiment de méfiance domine. Un représentant de l’ethnie Karipuna, Elso Vidal, témoigne à notre micro :

« Nous, en tant qu’habitants du Oiapoque, peuple premier, voulons aussi comprendre cette dynamique… En tant qu’indigène, nous voulons que les débats soient aussi dans les communautés indigènes ce qui n’est pas le cas »

© Radio Télé Péyi - Décembre 2025

Ce malaise est partagé par des organisations autochtones de la région : selon le Council of Chiefs of the Indigenous Peoples of Oiapoque (CCPIO), représentant des dizaines de villages, « les peuples concernés n’ont jamais été consultés de façon libre, en préalable et éclairée un principe fondamental inscrit dans la convention internationale ILO 169 ». Ils ont dénoncé notament la procédure de vente aux enchères de nombreux blocs pétroliers, y voyant une violation de leurs droits selon l’ONG, Global Citizen.

© Global citizen

Dans une lettre datée de mai 2025, le CCPIO réclame la suspension immédiate du processus de licence pour le bloc concerné (FZA-M-59) et s’est mobilisé avec d’autres organisations de défense des droits indigènes et de l’environnement lors de la COP30.  « Nous ne serons pas sacrifiés pour le profit de quelques-uns », avait indiqué le conseil des chefs indigènes.

Les critiques d’organisations environnementales : biodiversité, climat, avenir incertain

Au-delà des communautés locales, plusieurs associations et ONG alertent sur les risques socio-écologiques d’un développement pétrolier dans la région de la bouche de l’fleuve Amazone. Pour l’IPAM Amazônia, le débat « nécessite transparence, base scientifique et participation large de la société ». L’octroi d’une licence ne doit pas précipiter une décision sans consensus.

Selon Greenpeace Brazil, l’exploration pétrolière ne tient pas compte des impacts sur les écosystèmes fragiles de mangroves et biodiversité marine, des milieux essentiels à la pêche artisanale et à la survie de communautés littorales. Position partagée par Laurent Kelle, le représentant du WWF Guyane qui a rappelé sur Radio Télé Péyi les risques possibles sur le littoral guyanais situé à 200 kilomètres du site d'exploitation. 

Des études récentes font état des dangers supposés dans le cas d’un accident : les zones marines pourraient souffrir de marées noires, contaminations, destruction d’habitats et perte de biodiversité, avec des conséquences directes pour les populations riveraines y compris au-delà des frontières brésiliennes. 

Entre espoirs économiques et alertes écologiques : quelle voie pour Oiapoque ?

La conférence Oiapoque Énergie 2025 cristallise les tensions autour d’un modèle de développement : d’un côté, l’espoir d’un renouveau économique pour une région longtemps marginalisée, la plus pauvre du pays, avec la promesse d’emplois, d’infrastructures, de commerce, d’investissements. De l’autre, l’inquiétude d’un impact irréversible sur les écosystèmes, la biodiversité, les modes de vie traditionnels et les droits des peuples autochtones.

Ce que montrent les positions divergentes entre pouvoir public, entrepreneurs, commerçants locaux, communautés autochtones et ONG, c’est la nécessité d’un vrai dialogue transparent, large, pluraliste, respectueux des populations concernées, de leurs droits et de l’environnement. Sans cela, le risque est que le projet de développement à des tensions, des injustices ressenties, voire des destructions durables.

Le gouverneur, Clécio Luís cite souvent l’exemple Norvègien, aujourd’hui référence mondiale en matière de gestion de rente pétrolière et de transition énergétique. Pour le gouverneur, la Norvège est pertinente pour plusieurs raisons. Le pays a créé dans les années 1990 le Fonds souverain norvégien, aujourd’hui l’un des plus grands au monde. Une partie des recettes pétrolières y est placée pour financer pensions, politiques publiques et investissements stratégiques hors secteur pétrolier. Pour conclure Clécio Luís y voit un modèle de vision long terme :

« Quand la ressource va s’assécher ou diminuer, il faudra emprunter d’autres chemins. La Norvège a investi ses retombées dans d’autres secteurs qui n’ont rien à voir avec l’activité pétrolière »